Mylène Sauloy

Un viseur pour la Tchétchénie

 

Grandir sous les palmiers de Marrakech, rejoindre la Colombie par passion pour le continent latino-américain, par passion tout court, aller en Tchétchénie sous les bombes pour témoigner de la formidable résistance des civils, inventer des caravanes de solidarité, apprendre le russe, imaginer des banquets géants, tourner en Amazonie et se lancer dans le web-documentaire avec un appétit féroce, rêver de camion autonome pour monter ses films au milieu des vallées les plus isolées de la planète… Quelques-uns seulement des rêves de Mylène Sauloy, tous devenus réalité.
Parce que, pour Mylène, rien n’est impossible, pas même déplacer les montagnes.

Obstination, gourmandise, invention, curiosité, partage et fougue, combien de substantifs pour décrire Mylène ? Impossible de la décrire en deux mots. D’ailleurs, elle n’aime pas qu’on lui colle des étiquettes… ni qu’on lui impose une route.
La sienne débute à Marrakech, qui restera le temps béni de l’enfance, au milieu d’une famille aux destins chahutés par la grande Histoire, enfance qui lui laissera à jamais le goût des pâtisseries orientales, mais aussi de la parole des exclus, des exilés.
Retour en France, à Meudon, tentatives de rentrer un peu dans les cases avec un diplôme d’architecte DPLG, un doctorat de sociologie. Peine perdue, Mylène s’envole pour le continent latino-américain, où elle restera plus de vingt ans. Port d’attache : Bogotá, en Colombie, qui abrite ses amours, ses recherches et ses drames.

Un jour, il lui faut aller témoigner d’autres drames, sous d’autres cieux : ceux des Tchétchènes, victimes du régime soviétique et soumis à deux interminables guerres. De 1994 à 2009, Mylène, plus d’une trentaine de fois, passe clandestinement en Tchétchénie, souvent dans des conditions difficiles. Elle ne cesse de filmer ceux qui sont devenus ses amis, ses compagnons de route. Les civils dans la guerre, les gens dont personne ne parle, mais aussi ceux qui font rimer guerre avec dignité.
Ce sont les femmes de Grozny, le 51, tourné en 2002, chronique d’un formidable immeuble où seule la solidarité n’a pas été dévastée.
Sept ans après, en 2009, Mylène revient avec sa caméra et renoue avec tous ces destins singuliers dans Grozny, des nouvelles du 51.

C’est Ramzan, chorégraphe tchétchène, qui décide de remonter une troupe d’enfants danseurs, et d’aller montrer, avec le soutien indispensable de Mylène et de ses amis – Ariane Mnouchkine, Jane Birkin et bien d’autres, anonymes, qui s’investissent eux aussi à fond –, que la culture ne meurt pas sous les bombes. Le film Danse avec les ruines, achevé en 2002, raconte cette aventure au long cours.

C’est Natacha Estemirova, journaliste assassinée en juillet 2009, comme Anna Politovskaïa avant elle, comme Rayana Sadoulaeva, une autre jeune femme militante, au cœur du film Rayana ou l’Enfance brisée, et tuée elle aussi, en août 2009.
Mylène, rage et tristesse en bandoulière, réalisera Qui a tué Natacha ?, film-enquête.
Film resté sans réponse, hormis la reconnaissance de tous ces civils victimes des guerres autrefois, de la terreur aujourd’hui, sous le règne du dictateur Kadyrov.

Avant ce long épisode dans le Caucase, Mylène aura beaucoup tourné d’images reliant musique et résistance : celles des chanteurs kurdes en Turquie, dans Quand le chant s’en va-t-en guerre, des musiciens albanais, des rockers argentins, filles et fils de disparus. Ceux-ci rendent hommage à leurs parents assassinés sous la dictature, sous l’œil bienveillant de leurs grands-mères, les « Folles » de la place de Mai, dignes et déterminées, dans Au nom des mères, des fils et du rock’n’roll (2006).
Ou encore les chants de Ouïghours, cette minorité musulmane de Chine mise à mal par le régime central. Un peuple rarement filmé, pour lequel la musique reste un rempart contre la colonisation culturelle chinoise, à découvrir dans Le Torrent qui porta le chant aux Ouïghours (1999).
Et enfin, pour la beauté de tous ses rythmes, beaucoup de sons des Caraïbes…

Mylène, c’est encore la passion d’entreprendre, de préférence des rêves plus grands qu’elle. Réunir les pétroglyphes tchétchènes, sculptures dans la pierre de tours de défense, détruites par l’occupant russe. En faire avec la complicité d’un archéologue une magnifique exposition, produite par Marcho Doryila, l’association qu’elle a montée. Animer des centaines de débats pour expliquer les conflits et ce qui se joue dans le Caucase, héberger des réfugiés, organiser un banquet, mettre en ligne toutes ces images des guerres, tout a du sens.

Partir sur les routes pendant 12 000 km, pour une caravane de solidarité avec Grozny à travers le Caucase, avec huit camions et une cinquantaine d’artistes. L’occasion de tourner un film qui retrace cette épopée : Babel-Caucase toujours !, sorti en 2008. Une belle leçon de solidarité et de créativité, même si les frontières des puissants restent infranchissables.

Renouveler le rêve six années plus tard avec une caravane à travers les Andes, en 2014, à la recherche des initiatives en matière de santé, culture, économie des Amérindiens, du nord au sud du continent latino. L’aventure de Babel Car’Amaz’Andes est riche de bien d’autres rencontres. Et poétique aussi, parce que sans la poésie, on ne peut rien.

Ce continent sud-américain est aussi un terrain de réflexion pour Mylène, qui se sert du web-documentaire, une approche nouvelle, pour donner la parole aux Indiens sur le thème du réchauffement climatique. Ce sont eux indéniablement les meilleurs observateurs d’une nature qui se dérègle : saisons décalées, précipitations, crues ou sécheresses anormales, problèmes de nourriture pour les uns et les autres…
C’est aussi dans la cosmogonie indienne que Mylène va puiser un regard sur le monde différent. Assez loin de celui des experts de ce monde de Blancs, qui ne les écoutent pas. Ou si peu. Amazonie, le souffle indien, qui mêle paroles indigènes, experts et artistes, réalisé en 2011, peut toujours être regardé en ligne.

Film après film, caravane après caravane, Mylène Sauloy nous ouvre les portes d’un monde plus solidaire, où dignité et résistance prennent tout leur sens.

FILMOGRAPHIE

  • 2016 La guerre des filles
    53', Magneto Presse, ARTE France
  • 2011 Amazonie Le souffle indien
    Web Doc ARTE (Grimme Online Award)
  • 2011 Ozersk, ville close nucléaire (Russie)
    ARTE
  • 2011 Qui a tué Natacha
    64', (Tchétchénie, Russie, GB), France 2
  • 2009 Vibrato, la musique contre l'exclusion (Argentine)
    Arte
  • 2009 Grozny, des nouvelles du 51 (Tchétchénie)
    Arte
  • 2008 Colombie, les otages du président
    58’, France 5, Public Sénat
  • 2007 Babel Caucase toujours ! (Caucase)
    90’, Public Sénat
  • 2007 Si près de Grozny (Caucase)
    Arte
  • 2006 Au nom des Mères, des Fils et du Rock’n Roll,
    62’, MedFilms, FIGRA, FIPA
  • 2006 Rayana et l’enfance mutilée (Tchétchénie)
    Arte
  • 2006 Yusha, médecin de campagne (Tchétchénie)
    Arte, Radio Canada
  • 2004 Grozny : Paroles de femmes
    Arte
  • 2004 Massacre en Tchétchénie : la vidéo qui accuse
    34’, Canal Plus
  • 2003 Le drôle de pays des Kurdes d’Irak
    26’, Arte, ZDF
  • 2002 Danse avec les ruines
    52’, TSR, Radio Canada, France 2, Odyssée, RTBF
  • 2002 Les petits danseurs des ruines
    30’, RTBF
  • 2001 Grozny - le 51
    26’, Arte Reportage, ZDF
  • 2001 Kurdistan – Quand le chant va’t’en guerre (Musiques pour Mémoire), avec Antoine Cuche
    52’, Muzzik (série Musiques en résistance)
  • 2000 Tchétchénie - Le loup et l’Amazone
    52’, La Cinquième
  • 2000 Saint-Martin - L’île aux mirages
    52’, France 3 - RFO
  • 1999 Le torrent qui porta le chant aux Ouigours
    52’, Muzzik,
  • 1999 Albanie - Echos du bunker
    52’, Muzzik, 1999
  • 1998 Série Rythmes Caraïbes (série de Luc de Saint Sernin) 4 des 10 épisodes : Haïti - L’âme des tambours ; Dominique - La majorité en K-dens ; Saint Domingue - Merengue Jack Pot ; San Andres y Providencia - Pêcheurs de musique
    4 x 26’, La Cinquième/RFO
  • 1997 Tchétchénie - La ballade du loup et de l’Amazone
    34’, Cannes TV
  • 1994 Le dernier Tinigua – Mémoires
    56’ super 16mm, Canal plus
  • 1994 A qui profite la cocaïne ? (avec Gilles de Maistre)
    2 x 52’, France 2, RAI
  • 1988 Colombie, sale guerre
    52’, Antenne 2
  • 1988 Portrait d'un tueur de la mafia
    26’, 16 mm, RAI
  • 1987 Colombie La poudrière
    16mm, 52’, Antenne 2, Planète

Babel Caucase, dessins de Jérôme Guerry, livre édité par Marcho Doryila et les autres infos, films et livres à trouver sur le site de Marcho Doryila : http://www.marcho.net/