Laurent Billard

Au gré du vent...

Laurent Billard est un collectionneur de jolis instants, d’émotions simples. Faire que les gens se rencontrent… Un credo, comme une ritournelle entêtante, comme cette chanson du « tourbillon de la vie », de Rezvani, interprétée par Jeanne Moreau dans Jules et Jim. Le nom de sa maison de production, qu’il porte à bout de bras. Il boucle régulièrement son sac pour partir de Corse à la rencontre d’autres réalisateurs, qu’il approche avec une patience infinie sur les rivages méditerranéens…

« Le déclic du cinéma… il m’est venu sans doute très jeune. Mes deux parents étaient tous deux critiques de cinéma, j’ai baigné tout petit dans une atmosphère, disons, “cinéphile”. Mon père ayant créé la Fédération des ciné-clubs, cela a dû compter. Ensuite… après quelques expériences comme assistant de Claude Berri, j’ai quitté ce milieu de cinéma parisien qui ne me convenait pas.

Je m’installe comme saunier à Noirmoutier, c’est-à-dire que je tente de vivre de ce beau métier de récolter du sel dans les marais… Et c’est là que mon envie de prendre une caméra, moi aussi, surgit, à des fins juste pédagogiques : je voulais expliquer ce beau métier aux gens de passage, mais aussi aux élèves de l’île, peut-être pour susciter des vocations ? C’était en Super 8 puis en Video 8. Puis d’autres désirs émergent, d’autres envies de partager ainsi les métiers de la mer… l’appel du large me taraude-t-il ?
Après, tout va s’enchaîner : je rencontre Jacques Demy, qui vivait à Noirmoutier, et… je fais mon premier vrai documentaire sur lui, puis je crée ma maison de production, Les Films du tourbillon, en 1999, à Paris d’abord puis, en 2004, en Corse, où je m’installe. Je tente de vivre de mes films, je fais aussi des films de commande, j’invente des collections.

Après les marais salants de l’Atlantique, ma fringale de partager est toujours aussi vive et, cette fois, ce sont des pans entiers de la culture corse que je filme. Galerie de portraits : celui qui greffe les oliviers, la chevrière, le luthier du village, le sabotier…
Il me semble juste que le contact humain avec tous ces gens m’est indispensable. Irremplaçable, même !

Je vais tourner un peu partout en Europe, et surtout dans le pourtour méditerranéen, pour ma collection “Un certain regard du Sud”. Cette collection m’a permis d’esquisser les portraits de cinéastes importants à mes yeux : Elia Suleiman, Avi Mograbi, Amos Gitaï (je reste préoccupé par la question palestinienne) mais aussi Ademir Kenovic, Paul Carpita, Tony Gatlif, Nouri Bouzid, Youssef Chahine… Au total, un coffret de 18 portraits, une fresque humaniste et cinéphile j’espère, loin des paillettes de festivals.
Mais au quotidien, il reste vital pour moi de projeter des films par chez moi, en Corse, de passer déposer les cassettes de mes films à la supérette du village…
Juste pour faire aimer le cinéma, pour faire se rencontrer les gens, pour créer des ponts, aiguiser les curiosités, lutter contre les no possible people, mettre l’homme et la poésie au centre, promouvoir les initiatives locales, autour de l’agriculture bio…

Insulaire ? J’aime sûrement filmer les îliens : les enseignants de l’île de Batz, les enfants du quartier de Moqatam au Caire, les éducateurs de Gaza, des trapézistes sur une île hollandaise, un éleveur d’ânes en Corse, la terre de Balagne… »

  • La filmographie complète de Laurent Billard : http://www.lesfilmsdutourbillon.com . DVD en vente
  • La collection « Un certain regard du Sud » met en valeur des cinéastes, dont le Marseillais Paul Carpita. Son film Le Rendez-vous des quais, présenté en 1955, restera censuré jusqu’en 1989.
  • Une interview INA de Paul Carpita en 1990, qui raconte l’histoire du Rendez-vous des quais : http://www.ina.fr/video/RAC05006589
  • Un livre que Laurent Billard juge indispensable (« On devrait l’enseigner à l’école ! ») : Les Identités meurtrières, du Libanais Amin Maalouf